KUSANA (EMPIRE)

KUSANA (EMPIRE)
KUSANA (EMPIRE)

Ku ル ユa (en français: kouchan) est la transcription indienne du nom d’une dynastie originaire d’Asie centrale qui, au temps de sa plus grande puissance (Ier-IIIe s. de notre ère), parvint à réunir en un même empire l’Inde du Nord et la Bactriane, peut-être même le Xorezm (oasis de Khiva) et le bassin du Tarim, soit, pour parler en termes d’histoire contemporaine, la partie la plus peuplée et la plus riche de la République indienne, le Pakistan, l’Afghanistan (à l’exception peut-être de ses provinces occidentales), les républiques d’Uzbékistan et du Tadjikistan, la région autonome du Karakalpak et la région autonome du Xinjiang en Chine populaire.

L’histoire politique de cet énorme empire est à peine connue: seuls ont subsisté les noms de ses souverains les plus puissants. Encore ne peut-on leur assigner des dates absolument sûres. Mais l’importance de leur œuvre apparaît plus nettement chaque jour. De la vallée du Gange aux Pamirs, ils ont créé un vaste ensemble relativement épargné par la guerre, à la jonction de l’Inde, de l’Iran et de la Chine. Ainsi ont été créées les conditions d’un développement économique accéléré et d’un commerce international florissant. La sûreté des voies de communication, le mélange des populations, la multiplication des échanges furent éminemment favorables à la diffusion des idées et à la rencontre des courants artistiques. En même temps que l’hellénisation de l’Asie centrale et de l’Inde du Nord se poursuit, la civilisation indienne conquiert l’Asie centrale et pénètre en Chine. Des écoles artistiques très diverses se constituent, qui s’influencent mutuellement, et qui, par leur diversité même, reflètent bien le cosmopolitisme d’un empire multiracial et largement ouvert vers l’étranger.

1. L’histoire

La conquête nomade

Au nord et à l’est des plaines fertiles de la Bactriane (cours moyen de l’Oxus), irriguées depuis l’âge du bronze, s’étendent des steppes basses, de hauts plateaux, des déserts de sable où seules de rares oasis permettent l’établissement d’une population sédentaire. L’élevage y est possible, à condition que hommes et bétail puissent sans cesse se déplacer à la recherche de nouveaux pâturages. C’est le domaine privilégié d’une population nomade d’éleveurs se déplaçant à cheval, dont la survie est constamment menacée par la sécheresse et la surpopulation qui, toutes deux, réduisent la surface des pâturages disponibles. Aussi est-il souvent arrivé, depuis le IIe millénaire avant notre ère, que les tribus nomadisant dans la steppe eurasiatique aient cherché à s’assurer le contrôle des oasis irriguées d’Asie centrale.

Vers le milieu du IIe siècle avant notre ère, les systèmes de défense que les Achéménides, les Séleucides, puis les monarques gréco-bactriens avaient organisés pour protéger la Bactriane de la menace nomade sont rendus inopérants par la décomposition politique du royaume gréco-bactrien. À la même époque se produisent des mouvements de population importants sur la frontière occidentale de la Chine. Il semble qu’on puisse les résumer ainsi. Chassés par les Xiongnu du Gansu, les Da-Yuezhi occupent le haut bassin de l’Ili et les environs du lac Balkhash (Balkhach) vers 160 avant notre ère, poussant vers le sud les tribus Sai (Saka) qui nomadisaient précédemment en cet endroit. Ils en sont eux-mêmes expulsés quelques années plus tard par les Wusun. On les trouve installés vers 130 avant notre ère au nord de l’Oxus: ces archers montés, au nombre de 100 000 ou 200 000, semblent avoir défait facilement les troupes gréco-bactriennes. À partir de 100 avant notre ère, ils franchissent le fleuve et occupent tout le territoire de la Bactriane précédemment grecque. Pendant le même temps, les tribus saka, contournant la Bactriane, pénètrent en Inde par Merv et par le Séistan, d’une part, par la vallée de Gilgit et le Sw t, d’autre part. Vers 100 avant notre ère, un de leurs chefs, Mauès, arrache le Gandh ra aux derniers souverains indo-grecs. Un autre dynaste saka, sans doute venu par le Séistan, fonde l’ère vikrama (58 av. notre ère) et fédère les tribus saka en un empire souplement organisé qui s’étend sur toute l’Inde du Nord, jusqu’à Mathur pour le moins.

Pendant que le Gandh ra et le Pendjab sont ainsi la proie de guerres incessantes, les Yuezhi se partagent la Bactriane. Ils sont divisés en cinq clans, dirigés par des yabgu («dynastes»?) dont les sources chinoises nous ont conservé les noms. Ils ne cherchent pas à se constituer en État et continuent à utiliser la monnaie gréco-bactrienne ou ses imitations. Seul le clan Guishuang (transcription chinoise équivalant au bactrien kos face="EU Caron" オno et au moyen-indien ku ル ユa ) tente de se donner une organisation de type étatique. Le yabgu ku ル ユa Héraos, dont on a peut-être retrouvé la salle d’audience à Xalc face="EU Caron" オjan, frappe monnaie à son nom. Un de ses descendants proches, Kujula Kadphisès, détruit les quatre autres clans, réunifie les ex-Yuezhi et prend le titre de «grand roi, roi des rois», fondant ainsi l’empire ku ル ユa. Il se lance à la conquête de l’Inde, occupant d’abord la vallée de K bul. Entre 20 et 30 de notre ère, il agit au Gandh ra et au Panj b où il se heurte aux Indo-Scythes descendants d’Azès et aux Indo-Parthes de Gondopharès venus d’Arachosie (Kandahar). Il disparaît vers 30 ou 40 de notre ère. Wima Kadphisès, qui était peut-être son fils, achève la conquête de l’Inde du Nord.

L’apogée de l’Empire

Les noms des grands souverains ku ル ユa sont connus par leurs monnaies et les inscriptions, mais il n’est pas encore possible de dresser des listes dynastiques complètes, ni même de proposer une chronologie absolue qui ne soit pas contestable. Cette dernière repose sur la détermination de l’an 1 de Kani ルka, point de départ de l’ère du même nom, utilisé par ce souverain lui-même et par ses successeurs. Sources chinoises et données indiennes ne semblent pas s’accorder. Si l’on se fie à une certaine lecture des textes chinois, on placera l’an 1 de Kani ルka vers 120 de notre ère; si l’on accorde plus de poids aux données indiennes, on le placera en 78 de notre ère, faisant ainsi du ku ル ユa Kani ルka le fondateur de l’ère saka qui dure encore en Inde. C’est la solution qu’après bien d’autres historiens nous retiendrons, quoiqu’elle ne puisse être tenue pour assurée.

Si l’on en juge par les monnaies, les prédécesseurs de Kani ルka sont au nombre de trois: Kujula Kadphisès, fondateur politique de l’empire, dont les dates sont approximativement connues par les sources chinoises et l’étude des séries monétaires; puis un souverain au monnayage très abondant mais anonyme, que l’on désigne par les titres grecs de ses légendes monétaires: S 拏ter Megas, «Sauveur Grand»; enfin, Wima Kadphisès, réorganisateur de l’empire et prédécesseur immédiat de Kani ルka. Les monnaies de S 拏ter Megas, dont les types ne rappellent en rien ceux de Kujula Kadphisès ni ceux de Wima Kadphisès, se placent certainement entre les séries portant le nom de ces deux souverains. Mais qui est S 拏ter Megas? Faut-il attribuer ces monnaies à un souverain indépendant, à un vice-roi de Kujula ou de Wima, à Kujula lui-même, ou, comme nous le proposons, y voir des émissions de Wima Kadphisès antérieures à la grande réforme monétaire qui marque son règne? On en débat encore. Quels sont les rapports de parenté entre les deux Kadphisès? Appartiennent-ils à la même dynastie que les souverains qui leur succèdent et qui portent des noms en - ルka? Autant de points auxquels on ne peut apporter de réponse: leur nom mis à part, ces souverains, parmi les plus puissants que le monde ait connus, restent pour nous de quasi-inconnus.

Si l’on en croit le témoignage indirect des inscriptions, Kani ルka règne de 78 à 101. Son fils Vajhe ルka (ou V si ルka, 102-106) ne frappe pas monnaie. En revanche, les monnayages d’Huvi ルka (106-138) et de V sudeva (142-176?) sont abondants. Mais ils appartiennent peut-être à des souverains homonymes (on parle parfois de deux Huvi ルka, souvent de deux V sudeva), et il faut placer un Kani ルka II vers 119 de notre ère, pendant le règne d’Huvi ルka. On soupçonne ainsi toute une série de vicissitudes politiques (problèmes de succession, sécession de provinces, etc.) sur lesquelles rien ne nous renseigne. Quoi qu’il en soit, la période qui va de Wima Kadphisès à V sudeva, soit, dans notre chronologie, de 50 à 176, représente sans contestation possible l’apogée de l’empire.

Nous ne savons pas comment était organisé cet empire, dont les dimensions interdisent qu’il ait été très fortement centralisé. Certaines provinces (qui, en Europe, constitueraient des royaumes) étaient sans doute rattachées au pouvoir central par un lien très ténu: elles étaient dans sa mouvance politique et économique, tout en jouissant d’une très large autonomie interne. C’est pourquoi il est difficile de tracer sur la carte les frontières de l’empire ku ル ユa qui atteignit son extension maximale sous Kani ルka et Huvi ルka. La Bactriane, le Gandh ra, le Pendjab, la vallée du Gange, jusqu’à Bénarès au moins, constituaient le noyau de l’empire. Le Xorezm, la haute vallée de l’Indus (Gilgit) et le Cachemire, le Bihar, le Bengale, l’Orissa, le Malwa (Ujjain) et le Mah ra ルレra (Bombay) semblent lui avoir été rattachés, ou au moins avoir été des protectorats ku ル ユa, pendant un temps plus ou moins long. À l’ouest, les Parthes, qui tenaient Hérat et le Séistan, disputaient l’Arachosie (Kandahar) et peut-être la Bactriane occidentale aux Ku ル ユa. À l’est, de faibles indices permettent de penser que Kani ルka tenta de contrôler le bassin du Tarim. Mais ses succès, si succès il y eut, furent éphémères.

Envahisseurs étrangers aux peuples qu’ils conquéraient, nomades dont les ancêtres étaient incultes et régnaient par le fer sur des populations de vieilles civilisations grecque, iranienne ou indienne, les Ku ル ユa semblent cependant avoir été bien acceptés. Leur œuvre est immense. Après une période de guerres incessantes, la puissance ku ル ユa assura le minimum de paix et de stabilité politique, donc de sécurité, nécessaire au développement du commerce et de l’agriculture irriguée dans un vaste marché intérieur. Arrivant en Inde, les Ku ル ユa trouvent un système monétaire complètement déprécié: les belles monnaies d’argent des Grecs ne sont plus que du bronze argenté. La grande œuvre de Wima Kadphisès est une réforme monétaire qui substitue au précédent bimétallisme argent/bronze un bimétallisme or/bronze, avec des monnaies d’or au pouvoir d’achat très élevé pour le grand commerce international et des pièces de bronze très lourdes pour les paiements moyens. Ces monnaies de bronze étaient encore en usage en Afghanistan au XIXe siècle. L’empire ku ル ユa, à cheval sur l’Inde et l’Asie centrale, était la voie de transit obligatoire entre l’Extrême-Orient et le monde méditerranéen. La soie de Chine passait par son territoire ainsi que bien d’autres produits dont les Romains nous ont laissé le nom. Ces renseignements d’origine littéraire sont corroborés par les sources indiennes et les trouvailles archéologiques: découvertes de nombreuses monnaies romaines dans le sud de l’Inde, mais aussi en Bactriane; traces certaines d’activité ku ル ユa sur les voies de passage vers la Chine (Pamirs et Gilgit). En outre, la fondation de Puru ルapura (Peshawar) par Kani ルka implique probablement l’ouverture de la célèbre passe de Khyber. La découverte la plus typique est celle du trésor de Bégram, «fonds de commerce» d’un grand marchand de la fin du Ier siècle de notre ère, qui recèle des ivoires indiens, des laques chinois, des bronzes romains, de la verrerie méditerranéenne, de l’argenterie gréco-romaine, etc.

Il ne semble pas que les Yuezhi aient été des destructeurs. Les Ku ル ユa furent des bâtisseurs: développement des surfaces irriguées, urbanisation accélérée, amélioration de l’habitat urbain sont attestés par les fouilles. Par ailleurs, bien que fiers de leur origine iranienne et ne l’oubliant jamais, les Ku ル ユa ont été très respectueux de la culture et de la religion des peuples qu’ils avaient conquis, utilisant les langues locales comme langues officielles, patronant les divinités iraniennes, l’Indien えiva et le bouddhisme, sans jamais favoriser un culte ou une province aux dépens d’un autre culte ou d’une autre province. L’époque ku ル ユa est à la fois celle d’une hellénisation maintenue, bien que plus discrète, et celle d’une poussée des cultes indiens (shivaïsme et bouddhisme) vers la Bactriane. C’est aussi le temps où la civilisation indienne commence à conquérir la Chine. Les bouddhistes indiens considérèrent longtemps cette époque comme une espèce d’âge d’or et attachèrent au nom de Kani ルka de très nombreuses légendes.

La désintégration de l’empire

Après V sudeva, les inscriptions se font rares. La frappe des monnaies d’or se ralentit considérablement; les légendes de ces monnaies sont de moins en moins lisibles. La circulation monétaire est apparemment alimentée par des pièces de bronze au format de plus en plus réduit, aux types immuables et aux légendes illisibles. On entrevoit une partition de l’empire. Les souverains sassanides d’Iran arrachent aux Ku ル ユa la Bactriane, l’Arachosie, Kab l, et également des provinces indiennes. Les Saka du Malwa et du Mah ra ルtra fondent des États indépendants. Dans la région de Kab l et dans les montagnes pakistanaises, au Cachemire surtout, se maintient pourtant, jusqu’à sa destruction en 1026 par Mahmud de Ghazni, la dynastie des プ hi qui prétendait tirer son origine des Ku ル ユa.

2. Le domaine de l’art

On pourrait s’attendre que l’art d’un empire aussi divers, gouverné par une dynastie d’origine étrangère, soit essentiellement varié et cosmopolite. En fait, si la production artistique d’époque ku ル ユa peut paraître hétérogène, on discerne des tendances générales qui montrent combien la communication des idées et les échanges artistiques ont été vifs sous les Ku ル ユa. Les chefs des Yuezhi avaient les mêmes goûts que les autres nomades de la steppe euro-asiatique, comme la fouille de leurs tombeaux l’a fait apparaître. En 1978 furent découvertes à Tilia Tepe, en Bactriane afghane, six tombes princières datant environ du début de notre ère. Même si les personnages enterrés n’appartenaient pas à un clan royal Yuezhi ou Ku ル ユa (on peut penser aux Saka ou aux Parthes), les 20 000 objets d’or de Tilia Tepe nous renseignent sur l’éclectisme de ces nomades: passion pour l’or et les pierres de couleur; représentations animalières stylisées qui évoquent l’«art des steppes»; bijoux et armes de provenance et d’époque très diverses, aussi bien chinoise, gréco-bactrienne, iranienne (parthe et achéménide), qu’assyrienne, indienne ou grecque, etc. S’établissant en Bactriane, ces mêmes Yuezhi découvrent la grande architecture et la grande statuaire gréco-bactriennes que la fouille d’Aï Khanum nous a révélées, mais aussi un art populaire ou rural hérité de la Bactriane achéménide et encore très peu connu. Les composantes de la culture artistique indienne au moment de la conquête ku ル ユa sont encore à préciser, mais a priori elles sont disparates: vieille statuaire indienne de la vallée du Gange, art hellénisé des cours indo-grecques, culture iranienne des envahisseurs saka et parthes. La paix ku ル ユa permit de réaliser des synthèses, diversement équilibrées selon les provinces et les genres, de ces tendances hétérogènes.

En architecture, les Ku ル ユa n’innovent guère: villes ceintes de murailles en briques crues et en terre, à tours carrées (Balkh, Dalverzin, Dilberjin, Surkh Kotal) selon la vieille technique achéménide et gréco-bactrienne (Balkh, Aï Khanum, Taxila/Sirkap). On note des variantes intéressantes de ce type, parfois appelées à un grand développement ultérieur, mais qui sont en fait la reprise de solutions expérimentées antérieurement en Asie centrale : courtines à galeries internes (Xorezm), tours rondes et creuses (Taxila/Sirsukh, Kau ごamb 稜). L’architecture civile non bouddhique prolonge également l’architecture de la Bactriane grecque (elle-même partiellement marquée par la tradition iranienne antérieure): mêmes plans types, mêmes matériaux, mêmes procédés, même goût pour le gigantisme, même décor à la grecque. Mais la tendance est à construire plus vite et moins cher; le décor en souffre: la pierre de taille grecque est remplacée par des placages, les fûts de colonne et les chapiteaux sont désormais en bois ou en terre, la sculpture est moins soignée, etc. L’innovation majeure est l’emploi de la voûte, découverte antérieurement, mais qui tend à se répandre sous les Ku ル ユa, de Xalc face="EU Caron" オjan à Kau ごamb 稜. Il y a là un parallélisme avec l’Iran parthe, bien que la voûte appareillée ne soit pas utilisée dans tous les grands monuments de Bactriane (Surkh Kotal) et ne se soit pas généralisée en Inde. Si l’impact des techniques irano-grecques sur l’Inde est difficilement mesurable pour l’instant, faute de documents, l’action de l’Inde sur l’Iran apparaît de plus en plus nettement. S’implantant en Bactriane, les religions indiennes y ont apporté leurs édifices cultuels: monastères et st pa bouddhiques (Merv, Airtam, Dalverzin, Dilberjin, Surkh Kotal, etc.), temples shivaïtes (au moins à Dilberjin).

L’influence grecque, si importante dans l’architecture et la céramique, est éclipsée par le renouveau de l’ascendant iranien qui s’exprime dans la terre cuite et par l’émergence d’une iconographie royale. L’influence de l’idéologie est ici prépondérante puisqu’il s’agit, d’une part, de l’art religieux des couches non hellénisées de la population (statuettes moulées de déesses de facture assez grossière), d’autre part, de représentations où les dominants ku ル ユa ont voulu montrer leur force et leur appartenance ininterrompue à l’Iran de la steppe. Les statues royales parallèles de Mathur et Surkh Kotal, les effigies monétaires, les portraits princiers de Kalc face="EU Caron" オjan et Toprak Kala, les figures de donateurs ku ル ユa sur les reliefs bouddhiques nous montrent les Ku ル ユa debout, de face, dans leur costume national de cavaliers de la steppe, en une pose très statique et impressionnante de force immobile qui évoque l’art de l’Iran parthe beaucoup plus que l’art des Grecs d’Europe ou d’Asie.

Le jeu artistique en Inde est tout aussi complexe. Outre un art du bois et de l’ivoire dont les œuvres ont rarement été conservées, outre une tradition très vivante de la terre cuite, les pays du Gange possédaient depuis les Maurya une sculpture de pierre, nationale par ses motifs et ses types humains, même si l’influence technique de la Grèce s’y laisse déceler (Bharhut). De l’époque précédant immédiatement l’arrivée des Ku ル ユa, nous connaissons des statues de génie debout (yak ルa) et les reliefs en grès rose jaïna et surtout bouddhiques de Mathur . Jusqu’aux environs du début de notre ère, la personne du Buddha disparu en nirv ユa n’est évoquée que par des symboles (l’empreinte de ses pieds, son parasol, etc.). Le développement de la religiosité bouddhique, sans doute lié à l’essor du bouddhisme mah y na, comme peut-être aussi une plus grande habileté des sculpteurs aboutirent à une innovation décisive: à l’époque saka, les sculpteurs de Mathur osent représenter le Buddha comme une personne humaine, vêtu d’une dho レi indienne, debout ou assis à l’indienne. Les œuvres de Mathur furent immédiatement exportées au Gandh ra et au Sw t, et l’innovation fut adoptées par des sculpteurs fortement marqués par l’irano-hellénisme de la Bactriane proche et des royaumes indo-grecs. Le développement de la ferveur bouddhique à l’époque Ku ル ユa et la plus grande richesse des donateurs aboutirent à une floraison de cet art, indien par l’inspiration et l’idéologie, grec par la technique et le décor, qu’on appelle l’art gréco-bouddhique du Gandh ra: bas-reliefs de style illusionniste à la grecque ou représentations frontales à la parthe, décor de pilastres corinthiens, guirlandes et rinceaux comme dans la Bactriane grecque et ku ル ユa, motifs mythologiques hellénisants (Éros, tritons, Héraclès et Antinoüs de Ha ボボa, jusqu’au cheval de Troie!) et surtout figure du Buddha, représenté en toge, avec des traits apolliniens parfois, au visage respirant le plus souvent la bienveillance et la paix intérieure. L’influence grecque se trouva continuellement renforcée et renouvelée par l’afflux de produits importés du monde romain (Bégram) et servant de modèles, et peut-être par l’arrivée d’artistes venus, avec le développement des échanges commerciaux, de la Méditerranée romaine. Leur apport transparaît aussi dans la numismatique. Un relief comme le Buddha mahayaniste de Bruxelles, daté de l’an 5 (de Kani ルka), montre que cet art, extraordinairement fécond, était en pleine possession de ses moyens dès la fin du Ier siècle de notre ère. Il exerça une influence considérable sur l’art bouddhique des pays indianisés. Après Kani ルka, le décor, le costume, la liberté de mouvement, la composition des reliefs bouddhiques de Mathur évoquent de plus en plus l’art du Gandh ra et aboutiront à ces purs chefs-d’œuvre que sont les grands Buddhas de l’époque gupta (Sarnath). Lorsque l’art du Cachemire est attesté pour la première fois, il apparaît comme l’héritier direct de l’art bouddhique ku ル ユa du Gandh ra.

Avec le bouddhisme, la Bactriane importe les systèmes iconographiques mis au point au Gandh ra. Les reliefs et peintures bouddhiques de Merv, Surkh Kotal, Dilberjin, Dalverzin, Termez (et la peinture dynastique de Toprak Kala) sont foncièrement identiques à leurs homologues de Ha ボボa et du Gandh ra; ils n’en diffèrent que par une plus grande raideur qui rappelle l’art dynastique et populaire ku ル ユa et s’explique plus par l’influence iranienne ambiante que par la maladresse des artistes.

Les moines bouddhiques qui partaient en Asie centrale par la Bactriane ou par Gilgit, et plus tard les pèlerins chinois qui venaient s’instruire en Inde puis s’en retournaient chez eux, emportaient des statuettes et des peintures. Celles-ci servirent de modèles aux artistes locaux. Ainsi s’explique le fait que l’influence de l’art du Gandh ra soit si nette dans l’art de l’Asie centrale aujourd’hui chinoise, dans l’art du bouddhisme chinois et même japonais, qui, par l’intermédiaire de l’art du Gandh ra et du Cachemire, sont donc de lointains descendants de l’art grec.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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